2-     Elaboration d’une méthode d’étude au sein de la théorie sémio-contextuelle

A-   La théorie sémio-contextuelle

 

a-      communication-processus

 

La théorie sémio-contextuelle comprend la communication comme un processus, c’est l’idée d’une communication, intervenant, transformant les contextes et donc les sens des communications qui émergent.

La théorie sémio-contextuelle s’intéresse donc à la construction des significations pour les acteurs.

Cette théorie est une sémiologie qui s’exerce sur les communications en actes. Elle étudie les transformations mises en place par les communications mais aussi les contextes dans lesquels les communications prennent leurs sens.

Ainsi cette sémiologie a la particuliarité d’étudier la communication en action (en train de se faire) dans une situation, ce qui n’est pas le cas des sémiologies peircienne ou greimacienne. La théorie sémio-contextuelle étudie le sens d’une communication dans une situation donnée.

Cette théorie se situe dans une approche compréhensive, c’est à dire qu’il ne peut y avoir de réalité objective qu’il serait possible de définir. Le sens d’une communication est subjectif car « ce sont les acteurs qui construisent la situation pour eux à partir des significations attachées aux éléments essentiels d’après leur vision »[21].

La théorie sémio-contextuelle s’appuie sur l’idée que la construction du sens se fait à travers une situation. C’est à dire que le sens naît d’une confrontation d’une communication en train de se faire avec ses différents contextes. Comme nous l’avons vu plus haut , « le sens n’est pas séparable des conditions de sa production »[22].

Ainsi  dans cette théorie la situation est décomposée en plusieurs contextes permettant un cadrage (théorie systémique) dont dépend le sens des communications. Le cadrage sémio-contextuelle est différent du cadrage de l’école de Palo Alto qui comprend le contexte comme un simple cadre d’interactions, or la théorie sémio-contextuelle fait apparaître un ensemble d’autres contextes constitutifs d’une situation de communication.

 

 

b-     Les sept contextes[23]

 

Le contexte des identités des acteurs :

Ce qui est communiqué prend un sens par rapport à ce que l’on sait ou à ce qui est affiché des intentions, des projets et des enjeux des acteurs, il s’agit donc du contexte expressif des identités des acteurs.

L’impact de ce contexte sur le sens des communications a été mis en évidence par des travaux en sociologie de Berger et Luckman ou encore Boudon.

En faisant référence a leurs intentions, leurs goûts, leurs enjeux… les acteurs posent une partie de leurs identités dans la situation. Il est donc possible de faire varier le contexte identitaire, contexte par rapport auquel les communications des uns et des autres prennent ou prendront un sens.

 

Le contexte des normes :

Ce qui est communiqué prend un sens par rapport au contexte culturel de référence, aux normes et règles collectivement partagées. Ces normes sont soit appelées ou construites au cours des échanges.

L’impact de ce contexte sur le sens des communications a été mis en évidence par les travaux de sociologues comme Parsons, de psychosociologues comme Bruner ou encore d’ethnométhodologues comme Garfinkel.

En faisant appel à des normes ou en construisant certaines dans la situation il est possible de faire varier le contexte normatif, contexte par raport auquel les communications prennent un sens.

 

Le contexte du positionnement :

Ce qui est communiqué prend un sens par rapport au contexte des positions respectives des acteurs entre eux.

L’impact de ce contexte sur le sens des communications a été mis en évidence par les travaux de l’école de l’antipsychiatrie anglaise avec Laing (effort de l’acteur de positionner les autres dans des identités qui l’arrange qui lui permet de jouer son propre jeu relationnel pathologique) mais aussi les travaux de l’école de Palo Alto avec Watzlawick et Weakland qui ont montré le phénomène de structuration des relations dans lequel les interactions prennent place.

En modifiant le positionnement des acteurs il est possible de modifier le sens des communications, des conduites des uns et des autres.

 

Le contexte de la qualité des relations :

Ce qui est communiqué prend un sens par rapport au contexte relationnel immédiat, c’est à dire par rapport à la qualité de la relation entre les acteurs mais aussi à l’ensemble du système interactionnel créé.

L’impact de ce context sur le sens des communications a été mis en évidence par des travaux de psychosociologies qui ont montré les phénomènes d’affinités et de sympathie (Moréno et Maisonneuve).

Ainsi en modifiant la qualité de sa relation avec les autres acteurs, chaque acteur peut changer le contexte relationnel, ce qui modifie le sens des communications.

 

Le contexte temporel :

Ce qui est communiqué en un temps A prend un sens par rapport à ce qui a été dit antérieurement au temps A.

L’impact de ce context sur le sens des communications a été mis en évidence par les travaux d’E.Goffman en éthologie humaine. Il a montré la nécessité de certains rituels pour que certains échanges puissent prendre un sens voulu.

Ainsi c’est en faisant référence à ce qui c’est passé ou à ce qui se passera que les acteurs mettent en place un contexte temporel qui influence le sens des communications.

 

Le contexte spatial :

Ce qui est communiqué prend un sens par rapport à la disposition du lieu et à ses contraintes.

L’impact de ce context sur le sens des communications a été mis en évidence par les travaux de la proxémie (E.T.Hall).Ils ont montré l’importance de la dimension espace dans l’influence sur les communications et leurs significations.

Ainsi en modifiant la variable de l’espace dans une situation il est possible de changer certains éléments contextuels d’une communication, modifiant son sens.

 

Le contexte sensoriel :

Ce qui est communiqué prend un sens par rapport au contexte physique et sensoriel (vue, ouïe, odorat, toucher, proprioception).

L’impact de ce context sur le sens des communications a été mis en évidence par les travaux en éthologie animale de Lorenz, Tinbergen, Birdwhistel qui ont mis en avant l’importance de l’univers sensoriel pour la communication

Ainsi en modifiant les ambiances sonores, visuelles, odorantes, kinésiques, thermiques, les acteurs modifient des éléments de la situation, ce qui modifie le contexte par rapport auquel la communication se fait.

 

Toute situation de commuication est au moins composée d’un de ces sept contextes.

 

 

c-      L’interprétation

 

Comme nous l’avons vu plus haut, pour la théorie sémio-contextuelle, le sens naît d’un ensemble d’éléments mis en confrontation. La communication en train de se faire se confronte à la situation propre à chacun des acteurs en présence.

Cette situation est tout ou en partie définie par les sept contextes que nous avons vu  auparavant. L’interprétation, le sens d’une communication peut émerger de façon différente selon les processus de contextualisation de chacun des acteurs.

Ainsi nous pouvons dire que le sens « partagé » par l’ensemble des acteurs n’est pas évident à découvrir puisque la mise en contexte dont dépend la lecture communicationnelle, peut se faire de multiple façons selon la situation de référence pour chacun des acteurs.

 

Dans notre cas, l’analyse du phénomène de la guerre cognitive contre l’A.M.I à travers les processus de la communication nous mêne à étudier ce qui c’est transformé, ce qui a changé, ce qui a évolué lorsque cette guerre cognitive d’information et de communication  a eu lieu.

« Quels sont les travaux sémiologiques qui s’effectuent. Quelles formes des contextes ou quelles organisations de ces contextes évoluent dans le référentiel général formant la situation de communication[24]. »

 

La problématique d’une recherche qui utilise la théorie sémio-contextuelle aborde la variation du sens, d’une signification par et à travers les modifications de nos contextes, ceci en comprenant la communication comme un processus. Ainsi ces différents contextes pourront être manipulés par des communications « processus » qui chercheront à influencer le sens final.

 

d-     Conclusion

 

La théorie sémio-contextuelle postule que : « toute expression d’un acteur social, qui peut être « lue » dans le contexte pertinent qui s’impose à lui et à d’autres est une communication en acte[25]. »

On étudie alors cette communication à travers les processus qu’elle met en place, c’est à dire le travail qu’elle effectue pour modifier les contextes dans lesquels elle s’élabore.

La théorie sémio-contextuelle a donc une approche particulière de la genèse du sens et de la conduite humaine puisqu’elle enfonce ses racines dans la philosophie existentielle et nous propose de voir le sens, la signification comme un vecteur constructeur permettant dans une optique de la science de l’information et de la communication d’observer des phénomènes d’influences, d’inductions et de manipulations.

 

Alex Mucchielli nous propose sept éléments clés de cette théorie :

 

1-     Les communications-processus englobent toutes les conduites communicatives, c’est à dire toutes les actions d’expressions des acteurs qui peuvent trouver un sens dans un cadrage pertinent ;

2-     les communications processus agissent sur les contextes composant la situation de communication dans laquelle ils se déroulent ;

3-     les acteurs en situation travaillent pour faire surgir des significations conformes à leurs attentes. Pour ce faire, ils utilisent des communications processus qui interviennent sur les contextes et, donc, agissent sur le sens de toutes les communications qui se déroulent et vont se dérouler ;

4-     une conduite communicative, apparaît dans une situation, si, pour l’acteur qui la produit, elle a un sens « qui a du sens » pour lui ( c’est à dire si elle a une signification positive pour lui) ;

5-     le sens d’une conduite communicative d’un acteur est la résultante émergente des mises en relation de cette communication avec tous les éléments contextuels significatifs pour lui ;

6-     toute situation de communication peut être décomposée en sept contextes fondamentaux : identitaire, de positionnement, normatif, relationnel, spatial, temporel et sensoriel ;

7-     les conduites communicatives des acteurs en situation sont des éléments que les acteurs inventent pour résoudre, à leur manière, les problèmes que leur pose la situation.

 

 

B-    La méthode d’analyse

 

La méthode d’analyse de la théorie sémio-contextuelle repose avant toute chose sur une description de la situation. Ce travail consiste à examiner les communications processus qui se déroulent dans une situation. Ce type de description que l’on demande dans le cas d’une analyse sémio-contextuelle renvoit aux techniques de l’observation, de l’enquête et de la construction de cas.

 

Dans un deuxième temps la méthode repose sur la décomposition de la situation décrite en contextes. Toujours dans ce deuxième temps il s’agit de repérer dans chaque contexte les modifications apportées par les phénomènes communicationnels observés.

Ainsi il est possible de parvenir à une compréhension des phénomènes de genèse du sens.

 

Dans son ouvrage  La nouvelle communication  Alex Mucchielli nous propose une modification de la méthodologie qui la rend plus sophistiquée.

Ainsi il intègre la théorie de la cognition distribuée[26] qui permet de remplacer les éléments significatifs de chaque contexte par les « objets pertinents » de ces contextes. Il s’agit ici de remplacer des concepts flous par des concepts plus clairs.

Les objets cognitifs sont des éléments qui composent le contexte et qui participent à la définition du contexte pour l’acteur. Leurs caractéristiques fondamentales est de contenir du savoir social et de proposer des affordances aux acteurs, c’est à dire qu’ils proposent la signification prise par l’objet dans la situation et ses modalités d’interactions.

Ces objets cognitifs sont donc des éléments du raisonnement des acteurs qui leurs permettent de construire du sens et donc de définir leurs actions.

 

 

a-     Repérage des éléments constitutifs des contextes

 

Il nous faut dans un premier temps repérer les différents types de communication-processus misent en œuvre par les acteurs dans une situation de communication. Il s’agit donc de mettre en œuvre une description de la situation. Pour effectuer ce travail nous pourrons utiliser différentes techniques d’observation, d’enquêtes ou de construction de cas.

 

Dans un deuxième temps, en utilisant cette description il nous faudra mettre en avant les contextes sur lesquels les communications processus agissent. Pour cela il faut expliciter les éléments compris dans la situation qui participent à la constitution des sept contextes identifiés auparavant.

 

Après avoir décomposé la situation de communication en contexte, il nous faudra repérer dans chaque contexte les modifications apportées par les phénomènes communicationnels observés.

 

 

b-     La transformation en « objets cognitifs »

 

Il s’agit dans cette étape de transformer les éléments constitutifs des contextes en « objets cognitifs ». Cet objet aura pour fonction de permettre au raisonnement la construction du sens final.

Cette transformation fait appel à la théorie de la cognition distribuée qui dit que les raisonnements et les décisions prisent par les acteurs sociaux, s’appuient sur des « objets cognitifs externes » qui sont porteurs de sens, de propositions d’interactions, d’affordances.

Les propriétés de ces « objets cognitifs » sont fonction de deux éléments. Le premier de ces éléments correspond au contenu cognitif, le deuxième élément correspond à la finalité des actions en cours, car les acteurs sont toujours engagés dans des résolutions de problèmes.

 

L’émergence du sens se fera par la mise en relation de l’ensemble des « objets cognitifs » compris dans une situation de communication.

 

 

c-     Le raisonnement sur les « objets cognitifs » de la situation

 

L’ensemble des objets cognitifs que nous dégageons des contextes de la situation de communication nous permettent alors de créer un schéma représentatif de la situation. Ce shéma permet, par l’utilisation de flèche de mettre en relation les « objets cognitifs » entre eux et c’est cette mise en relation qui fait surgir les significations.

Celles-ci sont des évidences émergeant de ces confrontations car le sens n’est pas le fruit d’une élaboration intellectuelle interne au cerveau, d’un calcul cérébral reposant sur des idées, images ou représentations[27].

De plus chaque éléments (objets cognitifs) d’un contexte peut être mis en relation avec un ou plusieurs éléments d’un autre contexte. Ainsi se mettent en place les relations les confrontations qui permettent de déboucher sur du sens.

Cette shématisation a pour but de représenter le plus fidèlement possible la situation de communication.

[21] Alex Mucchielli, « La nouvelle communication », Armand Colin, 2000,p. 147

[22] S. Auroux, Op. Cit.

[23] Alex Mucchielli, « La nouvelle communication », Armand Colin, 2000,pp. 153-156

[24] Alex Mucchielli, « La nouvelle communication »,Paris, Armand Colin, 2000,p.156.

[25] Alex Mucchielli, « La nouvelle communication »,Paris, Armand Colin, 2000, p. 168.

[26] L. Quéré, « La situation toujours négligée », Réseaux, n° 85, septembre-octobre 1997, p163-192

[27] Alex Mucchielli, « La nouvelle communication », Armand Colin, 2000,p.175.